"s'en aller" exposition à Samba Résille, Toulouse, octobre 2024
PLIS (série)
ARIAS, les saisons (vidéo, 18mn. 2024)
Film : https://vimeo.com/1015660121/b6862db8be?ts=0&share=copy
Aria n.m. = mot vieilli, terme populaire signifiant embarras.
Aria n.f. = mélodie vocale ou instrumentale. Une aria de Bach.
Synopsis de l'été
Intérieur, noir, plan fixe. De dehors, on perçoit des cris d'enfants qui jouent, assourdis. Bruit de porte. La lumière de l'extérieure éclaire un peu la scène encore pleine d'ombres. Le lieu : un amas d'objets divers remplit tout le champ de vision. Un piano s'y trouve aussi, coffre ouvert, on distingue les marteaux plus ou moins alignés. On allume la lumière, bruits de pas, une femme apparaît, s'assoit devant l'instrument, déploie une partition - elle est bien habillée –, commence à jouer. Le piano du fond de l'abîme répond par des notes chaotiques. L'interprète, concentrée, précise - comme en concert -, va jusqu'au bout de l'aria de Bach. Elle referme la partition, se lève, quitte la scène. La lumière s'éteint, des cris d'oiseaux, noir.
Il m'aura fallu plusieurs années pour faire converger un lieu exprimant une interrogation sur son statut, un piano travaillé par les aléas du temps et une instrumentiste acceptant de jouer sur un tel instrument, en phase avec l'esprit de ma proposition filmée. Filmé en plan séquence pour éprouver le temps le plus naturellement possible et en plan fixe pour un unique point de vue de la caméra, avec une grande profondeur de champ afin d'avoir toute la surface de la scène sur un même niveau de visibilité, sans hiérarchie : l'interprète comme les amoncellements d'objets. Ainsi composée, la scène devient un lieu fantasmagorique dans lequel le-la spectateur.trice regardeur.se auditeur.trice voyage librement dans le temps et l'espace.
Quelques éléments qui ont présidés à la création d'Arias
1# mon grand-père
Mon grand-père a joué du violon toute sa vie, c'était un homme intimidant et je l'aimais beaucoup. Seul devant son pupitre, j'étais souvent dans la pièce avec lui, silencieux. Mon grand-père jouait du violon, mais il était très sourd. On ne peut pas accorder un violon en étant sourd. Donc il jouait faux, et moi j'entendais bien que c'était faux. J'entendais bien qu'il jouait faux les partitions de Bach ou autres. Et quand il jouait, cet homme austère s'animait, vivait sa passion à l'intérieur… et je l'écoutais avec ravissement.
Ces séances de musique si particulières ont éduqué les oreilles du gamin que j'étais à d'autres musiques, d'autres « modes musicaux », et j'ai adoré Schoenberg (dodécaphonisme) Stockhausen, Olivier Messiaen ou Xénakis par exemple ou... ou le piano préparé et 4,33mn de John Cage.
2# John Cage
Musiques pour piano préparé.
Une fois préparé, le piano devient un instrument à produire des variations de timbres. Cage amène l’auditeur à porter son attention à la surface du son. Il pense, comme son ami Duchamp avant lui, en termes de sculpture sonore et de ready made.
4,33mn d'attention au silence.
[…] Dans le « silence » de 4’33’’ s’engouffre la rumeur du monde et tous les discours. Dit la note de présentation d'un concert John Cage au centre Pompidou. Pour le compositeur tout son est musique (ready made).
3# Bach BWV 988, aria et Glenn Gould
Pourquoi l 'Aria BWV988
Dans certains enregistrements que Glen Gould a réalisé, la première note qui rompt le silence, celle par qui le son arrive semble sourdre du silence même, comme si elle était une partie de celui-ci, l'inscrivant ainsi dans la partition. Esprit John Cage ? L'instrument de Arias est un piano « préparé » par les hasards de son histoire, c'est lui le co-interprète de la partition. Esprit John Cage sans doute !
Glenn Gould encore...
Glenn Gould, entretiens avec Jonathan Cott (Les belles lettres p.48)
[…] Cela m'est arrivé à Tel-Aviv à la fin de 1958, en fait je donnais une série de concerts sur un piano absolument pourri […]. Je devais donner une petite douzaine de concerts en dix-huit jours […] et sur les onze concerts il me fallait en donner huit sur cette horreur.
Toujours est-il qu'un jour je devais changer de programme, ce qui représentait pour moi un problème réel, parce que jusque-là j'avais fonctionné sur une espèce de mémoire tactile que j'avais gardée du précédent programme ; mais là il fallait tout changer subitement. J'avais à travailler un peu, et c'est là que les choses se sont gâtées. L'après-midi du premier des concerts de cette série, j'étais allé à une répétition misérable, et j'avais joué vraiment comme un cochon : le piano avait fini par m'avoir. Je jouais sur son terrain. […] et j'étais vraiment très inquiet : je ne pouvais pas jouer correctement une gamme d'ut majeur. Apparemment, j'étais incapable de m'exprimer en d'autres termes que ceux qui m'étaient fournis par ce piano.
[…] Je décidai que le seul moyen de sauver le concert était de recréer les circonstances tactiles les plus parfaites que je connaissais. Ma référence à l'époque était un piano, que j'ai toujours […] . Ce piano m'a servi de prototype pour celui que j'utilise dans mes enregistrements[…] : j'y ai découvert un équilibre entre la profondeur de l'enfoncement et la rapidité avec laquelle les touches remontent, […] ; j'ai décidé qu'il fallait m'imaginer dans mon living-room… et d'abord imaginer le living-room lui-même, […] . Puis j'ai essayé de tout localiser, de voir le piano, et puis… -voilà qui est ridiculement yogistique, je ne l'avais jamais fait au paravant, […] Dieu merci, cela a fonctionné. Bref, j'étais dans ma voiture, à regarder la mer, avec tout cela dans la tête, et a essayer désespérément d'exister avec cette image tactile en moi, pendant le reste de la journée. Le soir, je me rendis à l'auditorium, donnai mon concert dans un état encore inconnu d'exaltation totale ; j'étais absolument libéré de ce pachyderme.
dévisagé
Série de portraits réalisée au crayon graphite et peinture sur fond constitué de plusieurs couches de feuilles de papier journal, assemblées et collées de manière accidentée. Formats divers
https://vimeo.com/428031176/0c84ddc0c6
«Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu’autrui dans la rectitude de son visage, n’est pas un personnage dans un contexte…
le visage est sens à lui seul. Toi c’est toi.»
Emmanuel Lévinas, Éthique et Infini
Le dessin est difficile à réaliser. Le crayon bute sur l’accident du papier, le trait noir se perd dans la couleur du fond préparé (comme le piano peut être préparé chez John Cage). Il faut vouloir dessiner cette face.
et le voyageur (vidéo)
personne (volumes)
d’Ulysse ou de Polyphème, tout dépend du point de vue (ou du désir).
SOLO (vidéo)
eau salée (vidéo)
TraverseVidéo 2018, Installation eau salée, chapelle des Carmélites
FICTIO (vidéo installation)
s'en aller (photographies)
S’en aller est une série photographique débutée en 2013 qui se poursuit toujours au gré des rencontres. Constituée actuellement de 40 portraits de dos ; des femmes et des hommes de tous âges qui soulèvent leurs cheveux, laissant voir au spectateur ce qu’ils ne voient pas d’eux-mêmes et qui pourtant les révèle. Geste intime, donné, offert.
Les personnes ainsi mises en portrait éprouvent souvent des difficultés à se reconnaître tant cette image de soi-même n’est pas familière, autre. Elles sont pour ainsi dire anonymisées. À la place d’un portrait « classique » de face, paré de pose sociale, désignant le regard comme principal axe porteur de sens (le façonnage des ombres et l’effacement des défauts de carnation participent à la stratégie du regard orienté du spectateur), un portrait de dos, comme silencieux, une pose dirigée par le geste théâtralisé de la main qui hisse les longs cheveux sans réel contrôle, dans leur abondance et leur désordre. Portrait de dos qui donne à voir la nuque, les épaules, mettant en lumière la carnation. La chair est ainsi révélée par le réalisme photographique tempéré (fond neutre et éclairage neutre) : le grain de la peau, le défaut, la rougeur, le creux de la trace, le pli, le bouton, l’altération, le devenir autre. Comme une vanité dans la peinture hollandaise du XVIIè, montrant une luxueuse profusion d’apparence désordonnée, de fruits et denrées éphémères. L’existence même, son mouvement, son principe d’incertitude et de finitude. Tragique et sensuelle.
Au commencement : sans doute avais-je ces lumineuses impressions depuis l’enfance, du temps de l’éveil à l’Autre, et la bonne voix d’Emmanuel Levinas, évoquant la rencontre d’autrui dans l’expérience du visage : [...]la nuque est le visage dénudé, une pure présence, sans la contenance [...] - note griffonnée égarée, retrouvée. Le peintre Hammershoi peignant ses intimes de dos, libérant ainsi le regard du spectateur en unifiant la représentation : personnage, meubles, tentures, murs, tous de même valeur. Les réalisateurs Luc et Jean-Pierre Dardenne, à propos de Rosetta , filmé caméra «sur la nuque» du personnage : […] la nuque qui vit à l’écart du monde, du corps, en retrait de toute activité, démunie de toute possibilité de prendre, de participer, de voir, la nuque, l’innocence du corps, si secrète, si vulnérable lorsqu’elle est vue par l’autre, nécessairement l’autre, on ne voit pas sa nuque, pure chair passive dans laquelle s’écrit la souffrance d’une vie ( Luc Dardenne, Au dos de nos images). Si le titre de la série évoque quelque chose du menaçant : [...] Las ! le temps, non, mais nous nous en allons, [...] de Pierre de Ronsard, l’emploi de l’infinitif présent sonne comme un ordre donné à soi-même, une promesse de mouvement, un parfum léger de volonté.
Et voilà... : les photographies couleurs de 90 x 60 cm peuvent composer un ensemble de 9m x 2,40m (sur 4 lignes de photographies). Cette vision répétitive en quantité des portraits de personnes de tous âges, sans volonté de spectaculaire, anonymes, forment un groupe semblant s’unifier, comme une seule représentation s’en allant vers le symbolique.
Ma résidence à l'abbaye de Bon-Repos
https://vimeo.com/116948527/11bb6342e9