dévisagé

série dévisagé, 2019 - 2020
Série de portraits réalisée au crayon graphite et peinture sur fond constitué de plusieurs couches de feuilles de papier journal, assemblées et collées de manière accidentée. Formats divers

https://vimeo.com/428031176/0c84ddc0c6

«Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu’autrui dans la rectitude de son visage,  n’est pas un personnage dans un contexte… 
le visage est sens à lui seul. Toi c’est toi.»
Emmanuel Lévinas, Éthique et Infini

Le dessin est difficile à réaliser. Le crayon bute sur l’accident du papier, le trait noir se perd dans la couleur du fond préparé (comme le piano peut être préparé chez John Cage). Il faut vouloir dessiner cette face.
Ce dispositif heurtant oblige à faire advenir à la conscience le processus de création. Le visage va apparaître, disparaître plusieurs fois avant de prendre trait et de faire face. Rien n’est évident, rien n’est donné, tout est conscience de la révélation. Ce visage est d’abord « choisi » dans le flux d’images photographiques que nous propose internet aujourd’hui, entre anonymat, ultra 
visibilité, oubli quasi immédiat, disparition tant redoutée… Il est choisi par toute la subjectivité de l’artiste qui, dans ce flot d’images, « voit » une 
première fois, ce visage. C’est une rencontre.
Puis celui-ci est projeté, présent, évident, lumineux, sur le fond de papier 
journal tourmenté, plus ou moins barbouillé de blanc, de vert, de rouge... 
La netteté du visage projeté se dérobe, une partie de la figure disparaît dans les méandres du papier. Le crayon 2H (très dur) se heurte au fond, la ligne tremble, le visage résiste. 

Dévisager, c’est regarder avec attention, mais c’est aussi enlever le visage. De l’évidence du visage projeté, il ne peut y avoir rencontre. Il faut défaire et refaire. Dévisager, envisager. 
Reprendre la main et donner visage à ce vide. Se mettre face. L’accepter dans son entièreté humaine, autre et moi, tout en même temps. C’est lorsque je peux accéder au visage de l’autre, que je peux accéder à moi-même.

Nous ne pouvons voir l’autre sans désir. Mais ce désir est fragile.

Il faut regarder avec attention et sans pathos, pour pouvoir voir. Le sujet doit être mis à distance : il n’est pas un autre avec une histoire, il est l’Autre. Cet autre que moi ne peut être révélé que par mon seul désir d’être humain. Cet autre que moi ne peut être, comme moi, que trivial et ordinaire (un papier journal, un quotidien). Alors seulement, je peux m’envisager.
Sylvie Corroler, directrice artistique